Entreprise libérée… mais de quoi, pour faire quoi, comment ?

Tout est lié et en évolution

 

La société dans laquelle nous vivons est complexe, changeante, imparfaite, en transformation, tout le temps, chaque jour. Elle est une homéostasie(*) délicate et a fortiori optimale, intégrant toutes les contraintes, originalités, traditions, qui font qu’elle existe en tant que société. Pour ce système, chaque entreprise, association, collectivité, en sont des éléments, sous-systèmes, tentant avec plus ou moins de succès d'y survivre, voire d'y vivre et s'y développer.

En tant qu'élément d'un système plus grand, l'entreprise est lié avec les éléments qui la côtoie et lui permet d'exister : ses clients, ses partenaires, les éléments qui la constitue, ses locaux, ses équipes, ses salariés... Tout comme l'être humain qui compose la société dans laquelle nous vivons est lié avec ses semblables, ses institutions, son logement, etc.

Libérer veut dire "délivrer, dégager de ce qui lie, de ce qui gêne, retient". Alors de quoi, à l'image de ce que pourrait être un "individu libéré", cette entreprise pourrait bien être libérée, des liens qui l'entravent? Ceux d'avec ses partenaires ou ses salariés, ses locaux ? Il est certes intéressant de les revisiter mais ne serait-il pas plus judicieux d'imaginer plutôt une émancipation organisationnelle qui l'amènerait vers plus de bénéfice? Après tout, la racine du mot "bénéfice" vient bien du latin beneficium qui veut dire "bienfait". Du bienfait au bonheur pourrait-il n'y avoir que quelques pas... Mais avant de penser libération et émancipation, revenons un peu aux fonctionnements des systèmes.

 

UN PEU DE SYSTÉMIQUE

 

Tout système (ou sous-système) est soumis a deux dynamiques antagonistes : la première est celle qui consiste à se développer, croître, changer (dynamique de destruction-création, au sens systémique puisque c’est l’abandon d’un ancien état pour un autre), et la deuxième est celle qui garantit sa cohésion (dynamique de conservation). La tension issue de cette dialogie(**) résulte de l’écart entre ces deux dynamiques et peut se traduire par des effets plus ou moins intenses, et notamment au niveau des salariés et des équipes : épuisement professionnel, conflits ou ambiance euphorique, démotivations ou forte créativité, turnover, etc. Et puisque l'écosystème extérieur est changeant, l’entreprise, pour survivre et se développer se doit de bouger avec lui: la dynamique de destruction-création est constamment à l’oeuvre et doit prendre le pas sur la dynamique de conservation, mais pas l'ignorer.

 

(*) L'homéostasie correspond à la capacité d'un système à maintenir l'équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes externes.

(**) Principe dialogique : lorsque deux ou plusieurs logiques, deux principes sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité.

 

La libération est une recherche de flexibilité

 

Alors qu’est-ce que ce mouvement de “libération” de l’entreprise si ce n’est l’espoir de se doter d’un fonctionnement rendant flexible et plus confortable cette constante évolution, accueillant la volonté créatrice tout en conservant l’intégrité de ses fondations. La libération n’est pas seulement le fait de panser les liens souvent symptômes d’une volonté voire d’une (im)possibilité de changement, que celui de penser une organisation flexible qui permette aux femmes et aux hommes d’être en action consciente dans l’objectif d’anticiper et d’accompagner ces mues, et de permettre à l'entreprise de s'émanciper vers un mieux-être.

Dans cet objectif, il peut être habituel d’agir directement sur les liens que l’entreprise entretient avec ses clients, en redéfinissant la démarche commerciale, avec ses partenaires en établissant de nouveaux modes de collaboration, ainsi qu’avec ses salariés, en capitalisant sur les notions de responsabilité, de compétences, de légitimité, de valeur, ou bien avec la manière d'utiliser ses locaux en incluant du travail à distance, en recréant des espaces de travail plus conviviaux, etc. Ce sont autant d'actions permettant à l'entreprise de réagir et s'adapter aux injonctions directes de son environnement et du moment. Ce sont autant de tentatives pour l'entreprise d'acquérir et d'expérimenter cette flexibilité nécessaire dans un mon de en constant mouvement.

 

"L'entreprise libérée", une utopie

 

Alors quid du modèle de l' "entreprise libérée" ? Ce n'est tout d'abord qu'un modèle, et donc a fortiori différent d'une réalité même si sa vocation serait de la décrire au plus juste. Et il est à mon sens une utopie dont l’holacratie pourrait en être une instance organisationnelle idéale garantissant à celle-ci un fonctionnement itératif, évoluant de concert avec son écosystème, et suffisamment sécurisant pour conserver sa raison d'être.

Pour quelles raisons "utopique" ? Parce que l’entreprise vit dans une société non libérée, et donc ne peut l’être totalement. Il lui faudra toujours être en expérimentation, face à un inconnu et faire des compromis afin de maintenir des liens sains en interdépendance. La liberté est plus un chemin dont le bonheur (ou le profit) pourrait en être la destination. Un deuxième point abonde également dans le sens du caractère utopique du modèle : l’être humain, fondamentalement complexe, génère imprévus, décisions douteuses, erreurs, … et fait pencher la balance tantôt du côté de la flexibilité, tantôt vers celui de la rigidité.

Et c’est d'ailleurs encore une dialogie qui est ici à l’oeuvre, celle constitutive du délicat équilibre intégrant la temporalité du changement, celle qui tente de répondre à la question : “Est-ce le bon moment pour évoluer ?”. Et chacun et chacune de répondre avec sa propre capacité à vivre le changement ou à le freiner; et selon son propre niveau de conscience de l’environnement qui l’entoure.

 

Les besoins avant tout

 

Toute entreprise, association, collectivité qui agit vers quelque chose d’autre à la suite d’un changement de statut, de clients, de produit ou de services ; de différent lorsque le cap change, qu’une nouvelle équipe de direction se met en place ; de plus adapté, plus respectueux des salariés, de leurs conditions de travail, de leur bien-être, après que certains diagnostics aient été posés, parce que certaines alarmes sur les RPS sonnent un peu trop systématiquement ; toute organisation qui agit dans ces contextes, suit un mouvement libératoire d’un état qui enfermait vers une nouvelle organisation créatrice de valeur, quelque soit cette dernière d’ailleurs, et avec plus ou moins de réussite. Dans quelle intention ? La réponse à cette question n’est pas toujours très claire, et dans tous les cas navigue entre le choix stratégique et l’urgence de régler un dysfonctionnement ou de se conformer une nouvelle loi. 

Il est alors opportun d’observer en premier lieu les besoins réels du système-entreprise, car c’est à partir de ces besoins individuels, opérationnels, terrains, que s’initie ce mouvement. Même si certains prétextes (internes ou externes) peuvent être des déclencheurs, ce sont les besoins systémiques qui seront à terme les leviers de la réussite d’une transformation. Et il est donc important que ces besoins, ceux qui sont constitutifs de l'identité de l'entreprise et des éléments qui la composent, soient bien identifiés. De ceux-ci vont s’imaginer le cap et donc les chemins pour y arriver. Et si votre équipage ne ressent pas le besoin de passer 6 mois en mer pour atteindre l’ île dont on dit qu’elle est paradisiaque, le voyage risque d’être complexe à gérer, voire long et compliqué.

 

"Entreprise libérée", une utopie utile

 

Alors cette fameuse “entreprise libérée”, leurre dont on pense qu’elle s’est libérée de ses freins à se développer, freins internes ou externes, parfois les deux, est un leurre malgré tout très intéressant, voire même une utopie utile. Car sur le chemin, lorsque le besoin est identifié, cette utopie est une boîte à outil qui va permettre de renforcer soit le mât, trop léger pour la voilure, colmater quelques brèches, concevoir un navire plus adapté ou faire monter les équipiers en compétence, renforcer leur cohésion, imaginer des modèles de décision parant les futurs imprévus, prévoir des espaces permettant aux futures innovations d’émerger, ou aux futures dysfonctionnements de se réguler. 

 

Il importe d’accompagner ces mouvements de libération avec utopie et pragmatisme, et également de pouvoir s’en libérer s’ils se révèlent trop enfermant, car chaque entreprise a son propre rythme de croissance.

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